Le texte « Usage d’opioïdes et troubles liés à l’usage d’opioïdes » a été tiré et adapté de Primary Care Addiction Toolkit, en 2023. Publié en ligne seulement.
Options pour la prise en charge de la douleur chronique non cancéreuse
La douleur chronique non cancéreuse est une douleur qui dure pendant au moins trois mois et qui n’est pas associée à un cancer. Elle nuit aux activités quotidiennes et diminue la capacité physique fonctionnelle et la qualité de vie. Les lignes directrices cliniques recommandent une pharmacothérapie non opioïde et une thérapie non pharmacologique plutôt que l’essai d’opioïdes (Busse et al., 2017). Le recours aux opioïdes en guise de thérapie d’appoint permet d’atténuer légèrement la douleur (réduction de 1 ou 2 points sur une échelle à 11 points.) et d’améliorer quelque peu la capacité fonctionnelle (amélioration de 10 %); toutefois, les opioïdes comportent un risque de surdose et de dépendance physique et psychologique.
Il existe des données probantes acceptables sur les bienfaits de l’exercice et de la thérapie physique et psychologique et sur les programmes d’autogestion pour atténuer la douleur chronique non cancéreuse (Centre for Effective Practice, 2018a). Les pharmacothérapies non opioïdes de première intention peuvent permettre d’obtenir une diminution semblable de la douleur sans les méfaits associés aux opioïdes.
Le Michael G. DeGroote National Pain Centre de l’Université McMaster (Busse et al., 2017) a formulé les recommandations suivantes pour la prise en charge de la douleur chronique non cancéreuse :
- Amorcer le traitement en faisant l’essai d’une pharmacothérapie non opioïde au lieu d’opioïdes.
- Stabiliser les troubles psychiatriques en phase active tels que l’anxiété et la dépression, avant d’essayer des opioïdes, parce que ces troubles mentaux sont associés à un risque de résultats défavorables.
- Prescrire des opioïdes uniquement lorsque les autres options thérapeutiques ont échoué.
- Éviter les opioïdes pour la prise en charge de la douleur chronique non cancéreuse chez les patients ayant actuellement un trouble lié à l’usage de substances parce que cette comorbidité constitue un risque bien documenté de résultats défavorables. Poursuivre le traitement non opioïde au lieu d’amorcer un essai d’opioïdes.
Certains patients qui présentent un risque élevé de dépendance (p. ex. antécédents de troubles mentaux, usage problématique actuel ou passé de substances) pourraient être admissibles à un essai d’opioïdes s’ils ressentent une douleur persistante, problématique et bien définie qui ne répond pas aux autres traitements. Par exemple, la Société canadienne de la douleur recommande l’utilisation d’opioïdes à libération contrôlée en deuxième intention pour prendre en charge la douleur neuropathique (Moulin et al., 2014). En l’absence d’une amélioration au bout de trois à six mois, le prescripteur doit abandonner le traitement par opioïdes.
Choix d’un opioïde pour prendre en charge la douleur
Pour prendre en charge la douleur chronique non cancéreuse, commencez par prescrire des opioïdes faibles comme de la codéine ou du tramadol pour soulager la douleur de légère à modérée, et de la morphine ou de l’hydromorphone pour atténuer la douleur sévère, sauf indication contraire (Centre for Effective Practice, 2018a). Si un opioïde plus puissant s’impose, choisissez-en un qui :
- n’a causé aucun trouble au patient par le passé;
- n’est pas couramment utilisé à mauvais escient dans votre collectivité;
- risque moins d’entraîner un usage à mauvais escient.
Réduction au minimum des effets indésirables des opioïdes dans la prise en charge de la douleur
Avant d’amorcer un traitement opioïde pour prendre en charge la douleur d’un patient, employez les stratégies suivantes pour réduire au minimum les effets indésirables possibles (Centre for Effective Practice, 2018a) :
- Expliquez au patient qu’il s’agit d’un essai et non d’un engagement à lui prescrire des opioïdes à long terme. Un essai consiste à ajuster la dose d’opioïdes et à évaluer la réponse en fonction du soulagement de la douleur et de l’amélioration de la capacité fonctionnelle.
- Renseignez le patient sur les effets secondaires courants tels que les nausées, la constipation, la somnolence et les étourdissements. Expliquez-lui également que l’utilisation à long terme d’opioïdes peut causer des troubles du sommeil, une sensibilité accrue à la douleur et des effets hormonaux (p. ex. l’hypogonadisme secondaire).
- Renseignez le patient sur les risques des opioïdes et leur utilisation sans risque, plus particulièrement le risque de surdose et de dépendance associé à un traitement opioïde de trois mois ou plus. Le risque de surdose involontaire, mortelle ou non, augmente lorsque la dose dépasse l’équivalent de 50 mg de morphine par jour (MED).
- Fixez des objectifs et des attentes réalistes concernant les traitements opioïdes pour diminuer, plutôt qu’éliminer, la douleur et améliorer la capacité fonctionnelle.
- Obtenez un échantillon d’urine aux d’évaluation initiale pour déterminer le risque. La fréquence des tests de dépistage de drogues dans l’urine pour surveiller l’observance opioïde prescrit peut être déterminée en fonction des facteurs de risque de chaque patient. Renseignez-vous sur les limitations de ces tests et sur la façon d’en interpréter les résultats (Centre for Effective Practice, 2018b).
- Surveillez fréquemment l’état des patients au cours d’évaluations cliniques, et demandez périodiquement des tests de dépistage de drogues dans l’urine, s’il y a lieu.
- Délivrez fréquemment de petites quantités d’opioïdes (p. ex. toutes les semaines) en cherchant à utiliser la dose d’entretien efficace la plus faible possible.
- Prévoyez une « stratégie de sortie ». Discutez avec le patient de la façon dont son traitement opioïde cessera si les bienfaits ressentis ne l’emportent pas sur les risques. Par exemple, envisagez la possibilité de mettre fin au traitement si le patient éprouve des effets secondaires importants ou s’il manifeste des comportements aberrants récurrents liés aux médicaments.
- Obtenez le consentement éclairé du patient et envisagez la possibilité de créer une entente de traitement pour clarifier les attentes, les buts du traitement et les stratégies à essayer si l’essai mené avec des opioïdes est inefficace.
- Dans la mesure du possible, évitez de prescrire des dépresseurs du système nerveux central en concomitance avec des opioïdes. Si le patient prend déjà des sédatifs et des hypnotiques d’ordonnance, songez à en réduire graduellement la dose dans le but de mettre fin au traitement. Demeurez également à l’affût de l’usage concomitant d’alcool et de médicaments en vente libre, qui peuvent augmenter le risque d’une surdose au cours de l’instauration du traitement opioïde et de l’augmentation graduelle de la dose.
Messages clés sur la sécurité relative aux opioïdes
Assurez-vous que les patients qui prennent des opioïdes pour le soulagement de leur douleur chronique non cancéreuse comprennent ces messages sur la sécurité (Centre for Effective Practice, 2018c) :
- Trousse de naloxone : Procurez-vous une trousse de naloxone à la pharmacie, en cas de surdose accidentelle, surtout si vous prenez des doses d’opioïde équivalant à 50 mg de morphine par jour ou plus. Les membres de la famille peuvent également suivre une formation afin de pouvoir reconnaître les signes d’intoxication aux opioïdes et d’apprendre à administrer la naloxone.
- Entreposage sécuritaire : Gardez le médicament hors de la portée d’autrui, plus particulièrement des adolescents ou des jeunes adultes qui habitent avec vous, et ne le partagez avec personne. Une dose pouvant être sécuritaire pour vous pourrait s’avérer dangereuse, voire fatale pour une personne intolérante.
- Surdose accidentelle : Ne mélangez pas des opioïdes avec de l’alcool ou des sédatifs comme des benzodiazépines ou du dimenhydrinate (Gravol) en raison de risques de surdose. Les signes de surdose sont notamment les suivants : trouble de l’élocution, sédation et somnolence pendant les conversations, manque d’équilibre et humeur changeante.
- Conduite d’un véhicule ou utilisation de machines : Après l’augmentation d’une dose, ne conduisez pas jusqu’à ce que vous connaissiez son effet sur vous.
Surveillance du traitement opioïde de la douleur chez les patients
Pendant la période initiale d’augmentation graduelle de la dose, évaluez les patients pour déterminer l’efficacité et la tolérabilité de la dose à des intervalles de deux à quatre semaines (Centre for Effective Practice, 2018c). Les patients à risque plus élevé de sédation (p. ex. les aînés, les personnes qui prennent des benzodiazépines ou qui présentent une insuffisance rénale ou hépatique) peuvent être évalués plus souvent après l’instauration du traitement ou d’un ajustement de la dose d’opioïdes.
Posez des questions concernant les cinq paramètres suivants (les cinq « A » en anglais) et observez leur apparition (Maumus et al., 2020) :
- Effets analgésiques : « Dans quelle mesure le médicament soulage-t-il votre douleur? » Un degré de soulagement de deux points sur une échelle à 11 points est considéré comme important (Busse et al., 2017).
- Niveau d’activité physique : « Êtes-vous plus actif ou moins actif depuis votre dernière consultation? » La capacité fonctionnelle devrait s’améliorer avec l’effet analgésique.
- Effets indésirables : « Vous sentez-vous plus somnolent que d’habitude? » « Avez-vous des problèmes de constipation? »
- Affect : « Comment qualifieriez-vous votre humeur? » L’affect devrait s’améliorer avec l’effet analgésique.
- Comportements aberrants : « Modifiez-vous votre prise de médicaments? » « Vous arrive-t-il d’en prendre plus que la dose qui vous a été prescrite? »
En demandant au patient de se fixer des objectifs spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels (SMART) au début du traitement, vous l’aidez à planifier les étapes qui lui permettront d’atteindre ses objectifs à long terme. L’examen des objectifs SMART à chaque consultation de suivi constitue un excellent moyen de surveiller les progrès réalisés en mettant l’accent sur l’amélioration de la capacité fonctionnelle et sur des attentes réalistes quant au soulagement de la douleur.
L’échelle Brief Pain Inventory constitue un outil utile pour évaluer la douleur chronique non cancéreuse et la capacité fonctionnelle (Tan et al., 2004). Les patients l’utilisent pour indiquer la sévérité de leur douleur chronique non cancéreuse, leur réponse au traitement opioïde et l’effet de ce traitement sur leur humeur, leur sommeil et leur capacité fonctionnelle.