Le texte « Usage d’opioïdes et troubles liés à l’usage d’opioïdes » a été tiré et adapté de Primary Care Addiction Toolkit, en 2023. Publié en ligne seulement.
Par « usage malsain d’opioïdes », on entend un spectre allant d’un usage à risque à un usage nocif et à une dépendance (Miller et al., 2018). Un usage à risque et un usage nocif supposent la consommation d’une quantité d’opioïdes dangereuse pour l’organisme ou l’usage d’opioïdes dans des situations dangereuses. Un usage à risque augmente le risque d’effets néfastes sur la santé, tandis qu’un usage nocif signifie que la personne a déjà subi des conséquences néfastes de l’usage d’opioïdes sur sa santé.
L’usage malsain d’opioïdes et la douleur chronique non cancéreuse
La prévalence de l’usage malsain d’opioïdes varie chez les patients aux prises avec une douleur chronique non cancéreuse, en fonction de la population et de l’établissement de soins. Les taux d’usage à risque d’opioïdes se situent entre 8 et 30 %, tandis que la prévalence du trouble lié à l’usage d’opioïdes se situe entre 2,5 et 14 % (Klimas et al., 2019; Voon et al., 2017). L’Enquête canadienne sur l’alcool et les drogues de 2019 a permis de constater que parmi les personnes qui consommaient des opioïdes comme analgésiques, 6 % en faisaient un usage problématique, ce qui représente une hausse importante de 3 % par rapport à 2017 (Santé Canada, 2020).
Comportements aberrants liés aux médicaments
Les comportements susceptibles de révéler un usage malsain d’opioïdes sont connus comme étant des comportements aberrants liés aux médicaments. Ils peuvent laisser entendre que la personne ne maîtrise plus sa consommation d’opioïdes, ce qui constitue un indicateur clé d’une dépendance. Les comportements aberrants surviennent lorsque les opioïdes ne sont pas utilisés conformément à la prescription du médecin. Ils peuvent se manifester sous les formes suivantes :
- loquacité;
- modification de la voie d’administration;
- acquisition d’opioïdes auprès d’autres sources (p. ex. achat auprès d’un revendeur de rue, obtention d’ordonnances multiples).
Les comportements aberrants n’indiquent pas toujours une dépendance. Par exemple, les patients dont la douleur n’est pas traitée adéquatement épuisent parfois leur réserve de médicaments trop rapidement et demandent une plus forte dose. Cette situation est connue sous le nom de pseudodépendance et se corrige normalement à l’aide d’une augmentation raisonnable de la dose. En revanche, un patient aux prises avec une dépendance aux opioïdes continue de manquer de médicaments avant la date prévue et de chercher à obtenir une plus forte dose, parce qu’il n’a pas répondu aux augmentations précédentes de sa dose.
Les comportements aberrants liés aux médicaments peuvent laisser entrevoir la présence d’un trouble lié à l’usage d’opioïdes (Maumus et al., 2020). Parmi ceux-ci, on peut citer :
- l’augmentation non autorisée de la dose : La tolérance analgésique se développe lentement. Les patients dont la douleur est stable sont souvent capables de continuer à prendre la même dose d’opioïdes pendant plusieurs mois ou plusieurs années (Ballantyne, 2006). En revanche, la tolérance aux substances psychoactives se développe en quelques jours ou en quelques semaines, ce qui pousse le patient ayant une dépendance à vouloir augmenter rapidement la dose pour obtenir le même effet. Les patients ayant une dépendance aux opioïdes finissent souvent par prendre une dose beaucoup plus forte que celle qui serait normalement requise pour soulager leur douleur (p. ex. plus que l’équivalent de 200 mg de morphine par jour);
- la prise d’une dose supérieure à la dose prescrite et l’épuisement fréquent de médicaments avant la date prévue : Les patients aux prises avec une dépendance aux opioïdes ont tendance à en consommer à l’excès pour obtenir l’effet psychoactif souhaité. Le fait de tomber à court de médicaments déclenche souvent d’autres comportements, comme exiger un rendez-vous à la dernière minute et ressentir de la colère ou provoquer des conflits;
- la consommation de médicaments oraux en les mastiquant, en les fumant, en les injectant ou en les reniflant : Ces comportements accélèrent la pénétration des opioïdes dans le système nerveux central, créant ainsi un effet euphorique plus puissant;
- l’acquisition d’opioïdes d’autres sources : Les sources peuvent comprendre les membres de la famille et les amis, les revendeurs de rue, l’obtention d’ordonnances multiples et les services des urgences;
- la résistance au changement de médicaments malgré les effets indésirables de l’usage d’opioïdes;
- la présence d’un problème concomitant d’usage d’alcool ou de substances illicites;
- l’obtention de résultats incohérents aux tests de dépistage de drogues dans l’urine;
- l’annulation de consultations cliniques ou le défaut de s’y présenter ou d’assurer un suivi;
- la conservation de médicaments non consommés pour un usage ultérieur;
- l’altération, le vol ou la vente d’ordonnances et de médicaments : Certains patients cherchent à obtenir des ordonnances d’opioïdes pour les vendre ou les distribuer à d’autres.
Certains comportements aberrants pourraient indiquer une prise en charge inadéquate de la douleur plutôt qu’un trouble lié à l’usage d’opioïdes :
- présenter des antécédents de réponse analgésique incohérents : La plupart des patients signalent avoir obtenu une réponse analgésique modérée et progressive. En revanche, les patients qui ont une dépendance pourraient dire : « C’est la seule chose qui fonctionne » ou « Je ne peux vivre sans ce médicament » ou « Cette dose suffit à peine à soulager ma douleur »;
- éprouver des symptômes de sevrage à la fin d’un intervalle posologique (p. ex. myalgies, dysphorie, anxiété, amplification de la douleur);
- signaler une amélioration immédiate de l’humeur en raison de l’usage d’opioïdes, voire une diminution de l’envie impérieuse de prendre des médicaments.
Les comportements aberrants sont fréquents dans le contexte des soins primaires. Il est donc important de les repérer, d’en déterminer la cause sous-jacente et d’élaborer un plan pour les gérer. Un nombre élevé de comportements aberrants révèle vraisemblablement la présence d’un trouble lié à l’usage d’opioïdes ou d’un trouble de santé mentale non traité. Il n’existe aucun lien entre les comportements aberrants liés aux médicaments et la quantité d’opioïdes utilisés ou la sévérité de la douleur.